Chapitre 2 : La prévision de la demande
I. Objectifs et contraintes de la prévision de la demande :
L’idéal pour une entreprise serait
évidemment de produire exactement les produits que ses clients vont acheter
mais, sauf dans le cas très spécial où l’entreprise commerce à fabriquer à
partir de la réception de la commande du client, c’est impossible. Ainsi, afin
de prendre les décisions relatives à son bon fonctionnement et à sa pérennité,
toute entreprise, quelles que soient sa nature et sa typologie commerciale,
doit s’appuyer sur un système de prévisions fiables. Selon le type de décisions
à prendre, il devra être à long, moyen ou court terme.
1- Objectif de la prévision de la demande :
Les prévisions à long terme ont
un rôle au niveau stratégique de l’entreprise.
A moyen terme, les prévisions
permettront de définir et maîtriser les capacités globales de production et
d’approvisionnement.
Les prévisions à court terme serviront
à l’activité opérationnelle de production. Plus les prévisions concernent le
court terme, plus elles sont fiables car elles se réfèrent à un futur proche.
Au contraire, des prévisions à plus long terme seront plus incertaines.
Remarquerons immédiatement que la
notion de court, moyen ou long terme dépend du type d’activité et des produits
de l’entreprise.
L’activité de prévision est le point de
départ de la planification. Toute activité de production est fondée sur des
commandes fermes et des prévisions de commandes. Le plus souvent, le deuxième
point est très majoritaire surtout lorsqu’on s’éloigne dans l’horizon de
planification. L’objection de ces prévisions est, pour l’entreprise, de définir
ce qu’il faudra produire et quand il faudra le produire. Précisons que dans un
environnement instable – comme c’est le cas aujourd’hui – la prévision est
difficile. Toutefois, mieux vaut prévoir même avec incertitude que de ne pas le
faire !
2- Les éléments du choix :
Dans toute approche de
prévision, le choix de la méthode exige de se poser tout d’abord la question
fondamentale suivante : quel est l’objectif de mes prévisions ?
En effet, la méthode choisie dépendra de nombreux facteurs :
·
les prévisions sont à long terme
·
les données historiques disponibles à propos du produit ou de la
famille de produits considérée ;
·
la précision souhaitée sur les prévisions ;
·
le coût accepté pour établir les prévisions ;
·
le temps disponible pour les obtenir.
Une prévision est par nature imprécise. Toutefois, par
compensation, une prévision agrégée est plus sûre.
3- Les sources de données :
Les sources de données correspondent
aux deux familles de méthodes de prévisions : d’une part, celles fondées
sur des données relevées dans le passé que l’on modélise pour faire une
projection dans le futur et d’autre part celles, purement prédictives faites
par des experts interrogés.
La source privilégiée de données est un
historique de données concernant un produit. Cette base permet
d’effectuer une prévision si, évidemment, on estime qu’il existe un lieu entre
l’évolution de la demande passée (données enregistrées) et celle de la demande
à prévoir.
Les autres sources de données sont
constituées par les études de marché, les avis d’experts, le suivi des
commerciaux, les enquêtes auprès des clients… Mais ces données sont plus
délicates à manipuler et à interpréter ; par contre, elles constituent un
complément sûr à un historique. De plus, dans le cas d’historique inexistant,
c’est la seule source utilisable.
4- Typologie de la demande :
Schématiquement, les caractéristiques
de la demande sont :
·
demande constante (A) si elle oscille statistiquement autour
d’une valeur moyenne constante dans le temps, la moyenne de D = f (t) est une
droite horizontal ;
·
demande à tendance (B) s’il y a oscillation autour d’une valeur
croissante ou décroissante dans le temps, D = f (t) est une droite à pente
positive ou négative ;
·
demande saisonnière (C) si elle présente des variations
nettement plus importantes, en hausse et en baisse d’une manière périodique. Il
peut s’agir d’un pic de la demande en hiver (lié à la neige par exemple) ou en
été (vacances) mais il peut aussi s’agir de variations saisonnières plus
subtiles (petit outillage électrique avec pics à la fête des pères et à
Noël) ;
·
demande saisonnière et à tendance (D) si les pics et les creux
sont disposés autour d’une droite non horizontale ;
·
demande erratique si les valeurs sont totalement aléatoires dans
le temps.
II – Les méthodes de prévision :
1- Généralités sur les méthodes de prévision
On distingue deux grands types de
méthodes de prévision : les méthodes qualitatives et les méthodes
quantitatives. Les techniques qualitatives font appel à une méthodologie
non mathématique (mais elles peuvent impliquer des valeurs numériques). Les
techniques quantitatives au contraire seront fondées sur des modèles
mathématiques. De plus, ces techniques sont dites intrinsèques si les
données manipulées sont celles du produit considéré. Elles sont extrinsèques
s’il s’agit de données appartenant à des événements liés à l’article mais
ne concernant pas l’article lui-même.
2- Les méthodes qualitatives :
Les méthodes qualitatives sont
principalement utilisées pour la prévision à moyen ou long terme. Elles sont
avant tout destinées à des décisions de mercatique avec des données provenant d’études
de marché ou d’intention d’achats à travers notamment
l’interrogation et le traitement de prévisions du réseau de distribution. Il
s’agit de techniques excellentes dans ce domaine. Pour les utiliser à des fins
de planification, il faudra être prudent et ne les utiliser qu’en complément
d’autres informations.
La méthode de Delphes consiste à
interroger, indépendamment les uns des autres afin d’éviter toute influence
forte directe, des experts à propos d’une question. Le coordinateur remet
l’ensemble des réponses aux experts qui peuvent modifier et compléter leur
proposition. Après deux ou trois cycles de type, on parvient à une proposition
de consensus efficace ou éventuellement à des divergences argumentées. Cette
technique n’est pas adaptée à une prévision à court terme d’un article, mais au
contraire à une décision de stratégie à long terme.
Lorsqu’on doit prévoir la demande
d’un nouveau produit, les données historiques n’existent pas. On
peut alors utiliser les données existantes d’un produit analogue. Il faut
évidemment considérer un produit au comportement suffisamment proche de celui
connu.
Nous ajouterons l’estimation du
manager fondée sur son intuition à partir de nombreux faits souvent peu
formalisés qui constituent son savoir-faire et sa connaissance du domaine. Ce
jugement subjectif ne peut pas remplacer une technique mathématique sur de
bonnes données, par contre, il peut rendre d’excellents services si les seules
données sont de piètre qualité.
3- Les méthodes quantitatives :
3-1- Représentation graphique :
C’est un préalable simple et explicite
aux autres méthodes. Elle présente l’énorme avantage d’être très visuelle car
d’un coup d’œil elle permet de résumer la prévision et de mettre le bon sens en
éveil. De plus, par extrapolation de la courbe des consommations passées, on
peut obtenir une estimation de la demande à venir.
3-2- Méthode de décomposition :
Le niveau de base de la demande est la
moyenne de la série de données prévues à une date déterminée. C’est une loi
stationnaire qui selon les concepts introduits au paragraphe I.4, sera
complétée avec les éléments suivants :
·
une tendance T donnant l’évolution à moyen terme de la
demande ;
·
des variations saisonnières S dues à des modifications
périodiques de la demande liées à la nature du produit et à son
utilisation ;
·
des éléments résiduels R dus à de nombreuses causes autres que
les précédentes (modifications climatiques inattendues, épidémies, grève,
apparition d’un nouveau client sur le marché, mode…).
La demande pour une période n peut alors s’exprimer
sous deux formes :
·
une forme additive de ces différents éléments où Dn = Tn
+ Sn + Rn ;
·
une forme multiplicative de ces éléments avec Dn = Tn
. Sn . Rn.
3-3- Méthode des moyennes mobiles :
Cette méthode a deux
utilisations :
·
elle permet d’établir une prévision de la demande ;
·
elle sert également à lisser des données utilisées avec d’autres
méthodes de prévision.
On
estime la prévision de la demande pour une certaine période à partir des
valeurs connues pour les quelques périodes précédentes.
Remarque :
moyenne mobile pondérée
Lors d’une prévision on peut affecter des
poids différents aux données afin de favoriser les plus récentes au lieu
de mettre sur le même plan les diverses valeurs.
Utilisation de la moyenne mobile
La méthode des moyennes mobiles
implique un stockage important de données et un certain nombre de calculs, mais
elle est simple à mettre en œuvre sur un ordinateur et elle est peut coûteuse.
Son inconvénient est de « traîner »
derrière l’évolution de la consommation passée puisqu’à tout instant on
ne prend en compte que des moyennes de valeurs antérieures.
3-4- Méthodes de lissage exponentiel :
Lissage
exponentiel simple
Cette méthode est probablement la plus
connue pour la prévision de la demande des articles. La prévision pour la
période n est celle de la période n-1 corrigée proportionnellement à l’écart Dn-1
– Pn-1 entre la demande réelle et la prévision qui avait été faite pour
la période précédente :
Pn
= Pn-1 + a (Dn-1 – Pn-1)
où a est un coefficient compris entre 0 et 1.
Si a = 0, on considère que la prévision de n est la même
que celle de n-1
Au contraire, si a = 1, on prend comme prévision de la période n, la
demande réelle de la période n-1, en effet :
Pn = Pn-1
+ Dn-1 – Pn-1 = Dn-1
Une valeur de a se rapprochant de 1 conduit donc à favoriser les
demandes réelles récentes.
La méthode du lissage exponentiel
effectue donc une moyenne mobile pondérée où les coefficients affectés aux
données passées sont reliés par une loi de décroissance exponentielle. En
pratique, la relation entre le coefficient a et une moyenne mobile à N périodes est
approximativement donnée par a = 2 / (N + 1).
Le coefficient a est défini empiriquement ou d’une manière plus
scientifique par la méthode des moindres carrés. Sa valeur permet de régler la
sensibilité du système.
Lissage
exponentiels multiples
La méthode du lissage exponentiel peut
être employée avec deux coefficients a et b si la demande est à tendance (lissage exponentiel double). Nous
appellerons tendance instantanée la variation de prévision d’une période à la
suivante :
tn = Pn
– Pn-1
on effectue alors un lissage
exponentiel de la tendance :
tn = b. tn + (1 - b). tn-1
Nous n’entrerons pas plus dans le détail
du lissage exponentiel double et nous demanderons au lecteur d’admettre que la
prévision corrigée s’exprime par :
1 + a
2a
Il est également possible d’effectuer
un lissage exponentiel des coefficients saisonniers en introduisant un
coefficient g. Le lissage exponentiel
comporte alors trois coefficients a, b et g. Il est appelé lissage
exponentiel triple.
Là encore, les modèles
employés sont faciles à mettre en œuvre sur ordinateur et peu coûteux. Ils
nécessitent, comme les précédents, des données historiques suffisamment
étoffées.
3-5- Autres modèles mathématiques :
De
nombreux autres modèles mathématiques plus complexes sont utilisés pour
réaliser des prévisions de la demande. Certaines modèles recherchent des
corrélations entre données à divers intervalles fixés ou cherchent des
corrélations entre facteurs. On peut, par exemple, chercher à lier la demande
de produits à celle de secteurs économiques associés par des régressions
simples ou multiples. On définit ainsi des modèles économétriques fondés sur
des expressions analytiques.
III- Erreurs et incertitude sur les prévisions :
Une prévision est par nature
incertaine. Il ne faut pas confondre incertitude et erreur. Il peut
naturellement y avoir erreur… si on se trompe en prenant des données inexactes,
en calculant ou en utilisant mal les méthodes !
Nous pouvons évaluer la qualité des
prévisions par deux valeurs complémentaires :
L’erreur
moyenne est définie par :
S (Di - Pi)
n
cet indicateur
signale la présence ou l’application d’un biais systématique : prévision
en moyenne trop forte ou trop faible.
L’écart moyen absolu (que
nous noterons MAD = Mean Absolue Deviation, en anglais) :
S | Di - Pi |
n
qui évite ces
compensations et contrôle l’écart entre demande réelle et prévision.
VI- Conclusion :
Il n’était pas question de réaliser un
panorama exhaustif des méthodes de prévision mais de donner un aperçu des
différents types de méthodes. Les méthodes classiques sont rapides et peu
coûteuses. Elles donnent des informations intéressantes à court terme mais
moins fiables dès qu’on s’éloigne dans le temps. Les modèles plus complexes et
plus récents sont beaucoup plus coûteux mais donnent en général des prévisions
valables à plus long terme. Chaque entreprise devra choisir la méthode qui lui
convient en fonction de l’objectif fixé ainsi que des critères de données et de
coûts. Il faudra de plus qu’elle vérifie la validité du modèle au moyen
d’indicateurs.
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Chapitre 2 : La prévision de la demande
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